ELIZABETH GRAVELINE, agr.
Conseillère en production laitière
Lactech inc
Situation économique actuelle et future
C’était le retour des Salons Lactech qui se sont déroulés partout sur le territoire durant le mois de février. Au total, sept journées d’information ont eu lieu et plus de 200 personnes ont assisté aux évènements. Ces réunions permettent à l’équipe de conseillers de se réunir de façon conviviale avec les producteurs et intervenants de l’industrie et d’y présenter différentes conférences sur les enjeux d’actualité.
Voici un résumé de la conférence économique qui a été présentée cette année. L’idée derrière cette présentation était d’amener à une réflexion sur l’avenir du secteur laitier en ce début d’année 2023.
Deux concepts résument bien l’année 2022 : Inflation et taux d’intérêt. L’inflation a atteint presque 7% à l’automne 2022 alors que les taux d’intérêt sont passés de 0,25% à 4,25% en 12 mois seulement. Ces 2 changements majeurs ont directement affecté les coûts de production du secteur laitier, qui ont connu une hausse de 21,5% entre l’automne 2021 et l’automne 2022 pour venir se stabiliser autour de 21% à la fin de l’année.
L’inflation a aussi apporté du bon, puisque le prix du lait a augmenté de 10 % entre l’automne 2021 et l’automne 2022. 16 jours additionnels ont été octroyés en 2022, et ce, malgré que 36 % des fermes ont terminé l’année dans le non reportable; la tolérance accumulée moyenne est passée de -10 à -6 jours. Les deux facteurs qui expliquent ces données contradictoires sont la diminution de la tolérance négative de – 30 à -15 jours en août, puis par l’impact des grands troupeaux sur la moyenne, qui en général, sont plus hauts dans leur marge de production et donc qui tirent la moyenne vers le haut.
Plus précisément dans le secteur laitier, une étude réalisée par Via sur les grands troupeaux laitiers à l’automne 2022 s’est intéressée aux taux d’intérêt combinés à la dette des 127 entreprises présentes dans l’étude. Le constat est intéressant : la dette par kg de quota varie de 8 000 à 48 000$, avec une moyenne de 28 000$. C’est exactement cette donnée qui est intéressante lorsqu’on évalue la santé financière de l’entreprise dans un contexte comme celui que l’on connaît actuellement; c’est cette dette qui déterminera la latitude de la ferme quant aux investissements et décisions à court et moyen terme.
De plus, l’étude a poussé plus loin la réflexion en appliquant directement les changements économiques théoriques aux résultats financiers moyens des fermes. Au niveau de l’état des résultats, le bilan est positif. Malgré l’augmentation des charges de liées à l’inflation sur les intrants, entre autres, l’augmentation du prix du lait a couvert ces frais, permettant aux entreprises de dégager une meilleure marge bénéficiaire en dollars totaux, même si celle-ci a diminué en pourcentage du chiffre d’affaires. La capacité de remboursement de ces entreprises s’en est trouvé améliorée, toujours en dollars totaux. Le bas blesse lorsqu’on vient ajuster les taux d’intérêt sur la dette. Même en diminuant de 20% le paiement en capital, l’augmentation des taux d’intérêt représente 8 % du chiffre d’affaires moyen des entreprises, ce qui vient augmenter les annuités de 34%. Un solde résiduel de 8% devient alors un solde résiduel de 3%, une baisse de 60 %.
C’est à ce moment que la dette par kg de quota détenu entre en jeu, puisque le solde résiduel est directement affecté par ce facteur. En effet, les 20% plus endettés se retrouvaient avec un solde résiduel négatif (-1%) alors que les 20% moins endettés parvenaient à baisser que très légèrement leur solde résiduel (1%) tout en augmentant celui-ci de 3% du chiffre d’affaires.
À la suite de ces constats, il faut être moins émotifs au niveau de nos résultats financiers et tenter de voir les choses avec optimisme. Beaucoup de quotas ont été octroyés en 2022, et il y aura toujours du lait à faire. Les opportunités d’affaires seront toujours présentes. Il faut donc se questionner.
Mise en situation
Concrètement, le quota attribué en 2021 représente 4,04 kg de matière grasse par jour pour un producteur qui possédait 100 kg de quota en début d’année. Sans compter les journées additionnelles ni les achats de quota faits au cours de la même période. La question que ce producteur doit se poser est la suivante : Que dois-je faire avec ce 4 kg supplémentaire ? Le produire avec mes effectifs actuels ? Le produire à la suite d’un investissement ? Le vendre ? Une réponse n’est pas meilleure que l’autre tant qu’on ne prend pas le temps d’analyse sa situation.
Dans un contexte où on a la possibilité de faire 8 000$ du kilo supplémentaire obtenu durant l’année, dans un contexte d’inflation, de hausse des taux d’intérêt, et dans un contexte où les conditions de marché me permettent de prendre de l’expansion sans devoir investir dans un droit de produire, pourquoi je choisirais de le faire ou pas ?
Il est évident que d’augmenter les revenus de l’entreprise sans augmenter les unités de production est la solution la plus logique financièrement, mais peut-être que cette solution n’est pas celle qui convient à votre entreprise dans son état actuel.
Revenir sur les questions de base
Il faut tout d’abord penser au futur de notre entreprise. Comment ce quota supplémentaire s’inscrit-il dans le portrait de la mission, vision et objectif de l’entreprise ? Est-ce que ces paramètres ont été établis ? Où se situe actuellement la ferme dans le cycle économique ? En d’autres mots, où sera-t-elle dans cinq, dans dix ans ? Où se trouve la retraite dans le plan de vie du propriétaire actuel ? Est-ce qu’on a de la relève, si oui, quels sont ses objectifs ? Est-ce que produire ce nouveau quota demande un investissement majeur ? Si oui comment cet investissement affectera l’une ou l’autre des générations sur la ferme ?
Ensuite, il faut savoir situer son entreprise dans la situation actuelle. Financièrement, où on se situe ? Est-ce que le frein actuel à l’épanouissement de l’entreprise c’est l’endettement ou plutôt l’efficacité économique du secteur laitier ? Quelle est la solution pour améliorer le statut financier en sachant de quelle façon l’augmentation des taux d’intérêt affectera le fonds de roulement ? Est-ce qu’il est impératif de baisser la dette ou si l’amélioration du bénéfice net est une meilleure alternative ?
Il faut aussi se questionner sur la situation technique actuelle. Idéalement, on veut produire ce nouveau quota, mais est-ce que ma situation technique me le permet ? Est-ce que je fais mon quota actuellement ? Est-ce que j’ai maximisé mon revenu par stalles, par robot, ou par vache ? Est-ce que mes vaches produisent à un niveau équivalent à leur potentiel ? Si le niveau de production de l’entreprise est déjà exceptionnel, que l’étable est à son maximum de capacité et que tous les paramètres techniques sont déjà optimisés, produire ce nouveau quota peut demander un investissement majeur pour l’entreprise. Sinon, il faut penser aussi à la main-d’œuvre supplémentaire que demande de produire ce lait, à l’inventaire en fourrages, par exemple.
Si on ne produit déjà pas le quota possédé, peut-être que la priorité n’est pas d’augmenter le droit de produire mais d’améliorer les éléments techniques actuels afin d’optimiser les unités de production déjà en place. On peut donc se questionner sur les forces et les faiblesses de l’entreprise. Il est impératif de bien s’entourer lors de cette étape du processus. Avec notre conseiller en alimentation, on peut se questionner sur la qualité de l’élevage, des fourrages. On peut faire le point sur la santé des pattes, du pis et reproductive de nos animaux avec notre vétérinaire. Comment se passe les départs en lait et la transition vêlage ? On peut se questionner sur le confort de notre étable actuelle : est-ce que c’est le confort qui est le talon d’Achille dans l’atteinte de nos objectifs de production ? Finalement, est-ce que je connais mes coûts ? L’efficacité du secteur laitier est basée sur la marge dégagée entre les revenus et les dépenses : est-ce que ce qui doit être contrôlé est contrôlé ?
Bref, de savoir où l’on veut aller mais aussi où on se trouve actuellement semble un concept évident, mais parfois de prendre le temps de s’asseoir et de revoir la vision globale de l’entreprise permet de réajuster le tir lors d’un changement de contexte comme celui que l’on connaît actuellement. Cela permet de prendre une décision par rapport au droit de produire qui a été octroyé. On décide soit de le produire avec les effectifs actuels si on a la capacité physique de le faire, soit d’investir de façon plus ou moins importante (achat de vaches, investissements dans le confort, construction, etc.) ou de le vendre afin de diminuer la dette ou d’améliorer le fonds de roulement.
Le plan d'action
S’arrêter sur une de ces alternatives signifie avoir identifié les faiblesses de notre entreprise, il faut mettre en place un plan d’action pour les corriger. À ce stade-ci, il faut s’entourer d’intervenants compétents afin d’identifier les actions à prioriser pour avoir le plus grand impact. Il faut aussi mesurer adéquatement les performances : d’où on part et où veut-on aller ? Il faut aussi savoir analyser adéquatement l’impact financier que ces actions auront sur mon entreprise. La communication n’est pas un aspect à négliger ! Il faut communiquer le plan d’action à nos partenaires, consulter les gens dans l’étable et impliquer tout l’entourage dans les décisions. Il faut rendre imputable tous les gens impliqués de près ou de loin sur la ferme. Il ne faut pas avoir peur de s’entourer d’intervenants et de producteurs qui sauront challenger. Il faut aussi aller visiter les entreprises qui sont où vous souhaitez être !
En conclusion, chaque entreprise est différente et dans le contexte de marché actuel il est impératif de réfléchir au futur de celle-ci. Nous sommes dans l’obligation de revoir les objectifs et de réajuster le tir au besoin. Il faut revoir nos plans, mesurer nos performances et plus important que jamais, analyser nos résultats avant de prendre une décision avec une aussi grande importance que celle de garder ou de se départir d’un droit de produire obtenu sans investissement. Le futur de la production laitière est beau, il présente une belle opportunité. Il faut savoir en profiter et se rappeler que pour s’en aller à bon pas, il faut d’abord savoir où l’on va.