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CE QUE SIGNIFIE LA PRÉSIDENCE DE BIDEN pour le commerce agroalimentaire entre le Canada et les États-Unis

by Véronique Bouffard
12 min.
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ELENA ROUMELIOTIS
Adjointe commercialisation des grains
Agri-Marché inc.

L’ensemble des producteurs agricoles ont regardé les élections présidentielles américaines de 2020 avec intérêt, mais aussi avec des émotions pour le moins mitigées. Après une année des plus tumultueuses pour tout ce qui concerne la COVID-19, l’industrie agricole était perplexe face à ce que l’avenir lui réservait.

Bien sûr, les démocrates ont traditionnellement été plus protectionnistes que les républicains, mais la vague populiste qui a accordé à Trump au-delà de 71 millions de voix favorise fortement les politiques américaines d’abord, de sorte que Biden ne subit aucune pression pour aller dans le sens du libre-échange. Parallèlement, il a davantage une vision traditionnelle du rôle des États-Unis dans le monde et dans les institutions multilatérales telles que l’Organisation mondiale du commerce (OMC), de sorte qu’une administration Biden représente probablement un retour à certaines politiques et positions commerciales américaines de 2016.

Bien que le commerce international ait été longtemps affecté par la politique intérieure américaine, l’ancien président américain Donald Trump a considérablement accumulé les irritants commerciaux entre les États-Unis et le Canada. Cela a été particulièrement difficile dans le secteur agricole, où l’ingérence politique en matière de commerce international est plus répandue que dans le secteur non agricole.

La relation du Canada avec les États-Unis est importante pour le secteur agroalimentaire des deux pays, mais elle est quelque peu unilatérale en ce qui concerne la dépendance du Canada à l’égard du marché américain.

L’agriculture a été un sujet plutôt délicat dans les relations canado-américaines des dernières années. Elle a donné lieu à des échanges musclés entre les deux pays pendant le mandat du président Trump, particulièrement lors de la renégociation de l’ALÉNA qui a mené à d’importantes concessions des secteurs canadiens soumis à la gestion de l’offre, soit le lait et la volaille. Les agriculteurs canadiens ont dû céder près de 4 % du marché des produits laitiers.

En 2019, le Canada était l’un des principaux marchés d’exportation pour les produits agricoles des États-Unis. Au cours des 15 dernières années, ces exportations ont augmenté de 114 %. À l’inverse, les États-Unis sont le principal acheteur des produits agroalimentaires canadiens, représentant 58 % du total des exportations agroalimentaires canadiennes. Cela n’est pas surprenant en raison de la proximité des pays et des goûts et valeurs similaires des consommateurs.

Les principaux différends commerciaux entre les deux pays, tant à l’OMC qu’au sein de l’ancien ALÉNA (Accord de libre-échange nord-américain), ont largement impliqué le secteur agricole. Les différends commerciaux de l’OMC concernant le bois d’oeuvre, le blé dur et les exigences d’étiquetage obligatoire du pays d’origine, par exemple, relevaient tous du secteur agricole.

L’incertitude commerciale qui persiste avec les États-Unis pourrait pousser le Canada à poursuivre son programme de diversification des marchés de manière plus agressive. Le Canada a montré de sérieux signes de diversification des marchés en adhérant à deux grands accords de libre-échange, l’Accord économique et commercial global (AECG) avec l’Union européenne et l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressif (PTPGP) avec les pays riverains du Pacifique.

PRÉSIDENCE BIDEN

Dans son discours inaugural, Biden a promis de travailler immédiatement à réparer et renouveler les relations avec les alliés des Américains et à redonner à l’Amérique son rôle de leader dans le monde. Son premier appel à un dirigeant étranger a été logé à Trudeau, et il a assuré au premier ministre que les politiques « d’acheter américain » ne visaient pas le Canada.

Le premier ministre du Canada et Biden sont beaucoup plus proches en termes d’idéologie, d’objectifs politiques et de style de leadership que ne l’étaient Trump et Trudeau, et ils partagent des points de vue sur l’élimination des barrières commerciales plutôt que leur imposition.

En ce qui concerne les accords commerciaux, Biden a reconnu l’importance d’accords comme le PTPGP, dont Trump s’est retiré dès son troisième jour au pouvoir. Mais il a également promis de protéger les travailleurs américains.

Des liens politiques plus étroits entre l’administration Biden et le premier ministre canadien signifient une approche plus constructive et coopérative dans la résolution des défis entre les deux pays dans le secteur agroalimentaire. Les différends commerciaux se poursuivront sans aucun doute, mais les efforts diplomatiques devraient permettre de les résoudre. Il s’agit d’une évolution positive pour l’industrie agroalimentaire canadienne.

LE RETOUR DE TOM VILSACK

Vilsack dirigeait le département américain de l’Agriculture (USDA – United States Department of Agriculture) sous l’ancien président américain Barack Obama. Il a été par la suite PDG du US Dairy Export Council, qui a critiqué à plusieurs reprises les contingents tarifaires laitiers canadiens.

Le retour de Vilsack à l’USDA a été applaudi par les États du Midwest, qui produisent l’essentiel des cultures de base telles que le maïs, le soja et le blé et le préfèrent à quelqu’un d’une autre région du pays.

Fervent défenseur des exportations agricoles par le biais d’accords et de traités sous l’administration Obama, Vilsack a fait campagne activement pour Biden lors de la récente élection présidentielle. Il a critiqué Trump, notamment pour sa politique commerciale conflictuelle avec la Chine. Vilsack a également critiqué le bilan environnemental du président sortant, en particulier pour le manque d’application des réglementations sur les biocarburants.

Pour les agriculteurs canadiens, Vilsack restera probablement dans les mémoires comme l’une des personnes-ressources de l’administration Obama pour les questions transfrontalières. On peut mentionner l’étiquetage du pays d’origine (USA) sur la viande, l’accès des agriculteurs américains aux marchés canadiens des produits laitiers, des oeufs et de la volaille sous gestion de l’offre, ainsi que le pacte commercial du partenariat transpacifique dont Trump a par la suite retiré la participation américaine.

Outre les questions de politique, les membres de l’administration Biden ont noté que l’un des rôles de Vilsack sera de servir d’émissaire auprès des États ruraux qui se sont éloignés des candidats démocrates au fil des ans au profit des républicains.

UN ARSENAL AGRICOLE DE 30 MILLIARDS DE DOLLARS

Le ministère de l’Agriculture est assis sur un coussin de 30 milliards de dollars (pour l’instant), que le président Joe Biden pourrait exploiter pour soutenir les restaurants en difficulté ou payer les agriculteurs pour mettre en oeuvre une production respectueuse du climat, et potentiellement bien plus encore. L’administration Biden examine ses options pour utiliser la Commodity Credit Corporation (1) (CCC) pour lancer rapidement son ambitieux programme alimentaire et agricole sans devoir compter sur les crédits d’un Congrès étroitement divisé.

L’ancien président Donald Trump a utilisé le CCC pour envoyer des chèques de sauvetage commercial et des paiements de secours aux agriculteurs étant donné le coronavirus, laissant à Biden un plan ainsi qu’une large couverture politique pour engager de manière agressive le fonds pour son propre programme.

En janvier dernier, le gouvernement américain a ainsi annoncé une ronde de compensations financières pour les agriculteurs à coups de milliards. Les États-Unis n’avaient pas injecté autant d’argent dans le secteur agricole au cours des 20 dernières années.

Donc, la question qui nous brûle toutes les lèvres en ce moment : le nouveau président des États-Unis d’Amérique va-t-il procéder de la même façon que ses prédécesseurs et subventionner les agriculteurs à coups de milliards ? Si tel est le cas, l’offre risque d’être plus grande que la demande et de faire chuter le prix du grain américain… Allons-nous être témoins une fois de plus
de l’échec du Farm Bill (2) de 2002 ? La multiplication de l’aide n’entraîne pas de diminution de la production, bien au contraire; la production de céréales s’était stabilisée à un niveau élevé et celle de soja avait explosé.

(1) Commodity Credit Corporation : Il s’agit d’une agence gouvernementale rattachée au département de l’Agriculture des États-Unis créée le 17 octobre 1933 dans le cadre du New Deal de Franklin D. Roosevelt.

(2) Farm Bill : C’est le principal outil de politique agricole et alimentaire du gouvernement fédéral. Le projet de loi omnibus complet est renouvelé environ tous les cinq ans et traite à la fois de l’agriculture et de toutes les autres affaires relevant du département américain de l’Agriculture.

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