VINCENT CHIFFLOT, M. Sc.
Agronome
Bayer Crop Science
La moisissure blanche, ou pourridié sclérotique (Sclerotinia sclerotiorum), est une des maladies qui touchent le plus le soya au Québec. Elle peut causer des baisses de rendement allant jusqu’à 50 %, voire davantage (Figure 1). On devrait accorder beaucoup d’attention à l’élaboration d’une stratégie visant à s’attaquer au problème. Alors que l’on ne peut plus rien faire quand les plants sont déjà infectés, il existe différentes stratégies préventives qui ont fait leurs preuves au cours des dernières années. Voyons lesquelles.
Figure 1 : Symptômes caractéristiques d’un flétrissement et d’un dépérissement du soya à la suite d’une infection par la moisissure blanche.
BIOLOGIE ET CYCLE DE DÉVELOPPEMENT
Pour mettre en place une stratégie d’intervention efficace, il est important de bien comprendre la biologie et le cycle de développement de la maladie.
Les sclérotes, qui passent l’hiver enfouis jusqu’à 5 cm dans le sol, commencent à germer avant même que la température du sol n’atteigne 18 C à condition que l’humidité soit élevée. Des structures reproductrices en forme de coupes (apothécies) se développent à partir du champignon parasite et engendrent chacune de 2 à 3 millions de spores. L’infection se produit le plus souvent quand les spores disséminées dans l’air se posent sur des fleurs et germent. Notez que les apothécies fructifient seulement à l’ombre et non en plein soleil.
À mesure que la moisissure se développe sur le plant et à l’intérieur, les lésions qui ceinturent la tige bloquent graduellement la circulation de l’eau et des nutriments vers les parties supérieures de la plante. Quand les tissus du soya meurent et cessent de fournir les éléments nutritifs nécessaires au parasite, le mycélium forme des agrégats qui deviennent des sclérotes. Les plants infectés flétrissent et leurs feuilles supérieures virent au vert grisâtre, puis au brun à leur mort. Les tiges se décolorent à la fin de la saison. La présence de lésions gorgées d’eau sur les nœuds de la tige est le premier signe d’infection. Cependant, le signe le plus évident de la maladie est la formation d’un feutre mycélien blanc d’aspect cotonneux, qui apparaît sur les tiges des plants de soya plus tard dans le cycle (Figure 2). Les pertes économiques sont souvent attribuables à la présence de grains ratatinés (réduction du rendement) et de mauvaise qualité (impuretés).
CONDITIONS CLIMATIQUES FAVORABLES
Le développement de la moisissure blanche dépend largement des conditions climatiques durant la floraison et au début de la formation des gousses (R1 à R3). Les conditions les plus propices sont des pluies en quantité normale ou supérieure à la normale, un sol très humide, ainsi qu’un couvert végétal mouillé en profondeur à la suite d’un brouillard matinal prolongé ou d’une forte rosée pendant ou après la floraison ou au début du développement des gousses. La pluie et le temps frais (moins de 29 C) favorisent la croissance de la moisissure. Les pétales des fleurs de soya sont indispensables au développement de la maladie, car ils procurent les nutriments nécessaires à la croissance initiale de la moisissure et constituent la principale voie d’infection.
En résumé, la maladie se développe sur les plants de soya quand les trois facteurs suivants interviennent en même temps : humidité élevée du sol, fermeture des rangs et floraison du soya.
S’il y a un décalage de l’un ou l’autre de ces trois facteurs, on peut ne pas observer de symptôme.
MOYENS DE LUTTE
Variétés tolérantes
La sélection variétale est à la base de la lutte contre la moisissure blanche. Bien qu’il n’existe aucune variété résistante, il est clair que certaines variétés peuvent produire un pourcentage plus élevé de rendements normaux en présence de la maladie (Figure 3). En ce qui concerne les champs qui présentent des antécédents de moisissure blanche, choisissez un produit caractérisé par une bonne tolérance naturelle.
Figure 3 : Effet de la variété sur l’incidence de la maladie, ici dans une parcelle d’essai de génétique.
RÉGIE AU CHAMP
Évitez de labourer pour favoriser la germination d’un plus grand nombre de sclérotes en les laissant à la surface du sol. Semez des cultures de rotation non vulnérables de façon à favoriser la germination des sclérotes dans un milieu défavorable au développement de la maladie. Le maïs, les petites céréales et d’autres graminées sont des exemples de cultures auxquelles la moisissure blanche ne s’attaque pas. Bien que la luzerne soit un hôte de Sclerotinia, l’agent pathogène ne semble pas s’accumuler dans ce type de peuplement comme il le fait dans d’autres cultures hôtes. L’adoption de rotations plus longues en cultures non vulnérables serait la méthode la plus efficace pour réduire le nombre de sclérotes dans le sol. Le haricot mange-tout, le haricot de Lima, le pois, le tournesol, le canola, la carotte et le chou sont des hôtes intermédiaires. Détruisez les mauvaises herbes qui sont des hôtes intermédiaires de la moisissure blanche, telles que le chénopode blanc, l’amarante, l’abutilon, l’herbe à poux, la morelle, le chardon des champs et la moutarde.
Le développement de la maladie est accéléré par tous les facteurs qui entraînent une fermeture rapide des rangs dont un semis hâtif, un sol riche avec apport abondant de fumier, une culture en rangs étroits et un taux de semis élevé (plus de 200 000 plants/acre). En somme, tout ce qui participe à une croissance végétative explosive du soya peut mener au développement de la maladie. Considérez le semis en rangs plus larges et abaissez le taux de semis afin d’obtenir un couvert végétal plus clairsemé, d’y diminuer l’humidité et d’y augmenter la température.
FONGICIDES
L’emploi d’un fongicide comme le Stratego PRO de la compagnie Bayer Crop Science a fait ses preuves au Québec au cours des dernières années.
Une fois qu’on connaît bien la porte d’entrée de Sclerotinia, il est plus simple de comprendre la logique du stade d’application du fongicide. Il est très important d’utiliser ce dernier en prévention et de l’appliquer lorsque les plants sont en pleine floraison. Comme vous le savez, le soya a la particularité de fleurir sur une très longue période. Cela complique quelque peu la tâche puisque pour protéger les fleurs, celles-ci doivent être présentes lors de l’application. Selon les conditions climatiques durant cette période et l’historique des champs, on peut adopter la technique d’une seule application ou de deux passages.
Lorsqu’on n’a pas d’historique de très grosses infestations à la moisissure, un seul passage peut suffire. Il sera donc important de faire l’application lorsqu’il y aura un maximum de fleurs présentes. Ce moment est généralement représenté par le stade R2.
Si la pression de la maladie est élevée dans le champ, il vaut mieux opter pour la stratégie à deux applications. La première devra être faite au stade R1, soit au début de la floraison. La deuxième application pourra être faite environ 10 jours suivant la première; ce stade équivaudra environ à fin R2, début R3. En optant pour cette stratégie, les fleurs des plants de soya seront protégées au maximum.
Lors de l’application, il est également recommandé d’utiliser un haut volume d’eau, soit environ 200 L à l’hectare. On peut aussi utiliser des jets à angle afin d’améliorer la pénétration du feuillage et la couverture lors de l’application. Dans le doute, informez-vous auprès de votre représentant et consultez l’étiquette du produit pour en maximiser l’efficacité.
L’application d’un fongicide ne doit pas être systématique mais plutôt être basée sur des observations faites au champ : précipitations, rosées du matin, développement végétatif, fermeture des rangs et floraison du soya. Les champs ayant un historique de moisissure
blanche doivent par ailleurs être traités en priorité.